jeudi 21 juin 2007

Un conflit moderne

De 1807 à 1814, les Français ont mené dans la péninsule Ibérique un combat sans merci contre les Espagnols et les Portugais que soutenaient les Anglais. Le désastre subi par sa marine à Trafalgar lui ôtant tout espoir d'envahir l'Angleterre, Napoléon décida de la frapper en ruinant ce qui concourrait le plus à sa puissance : son commerce international. L'imposition d'un blocus continental à l'ensemble de l'Europe finirait, pensait-il, par mettre à genoux son irréductible adversaire en l'asphyxiant. La mise en œuvre de cet embargo impliquait une occupation du Portugal qui était inféodé à Londres. Lisbonne ne pouvant plus être atteinte par voie maritime, il faudrait traverser l'Espagne, et donc s'assurer de lignes logistiques et de communication sûres au travers de ce pays.

Profitant de la décrépitude et de la décadence de la monarchie espagnole, l'Empereur crut pouvoir confisquer aisément la couronne des Bourbons de Madrid pour la remettre à son frère Joseph. En exacerbant les sentiments nationalistes et xénophobes d'une population solidement encadrée par le clergé, ce coup de force déclencha un mouvement de résistance qui se manifesta d'emblée avec une vigueur inattendue.

Venu laver la honte de la capitulation d'une de ses armées en rase campagne, dispersant les Espagnols et chassant les Anglais venus en renforts, Napoléon réussit, en trois mois, à redresser la situation militaire. Menacé par des intrigues ourdies à Paris et préoccupé par l'évolution de la situation en Europe centrale, il dut toutefois quitter prématurément l'Espagne, en janvier 1809, convaincu à tort d'avoir réglé l'essentiel des problèmes.

De 1809 à 1811, après s'être déployés sur l'ensemble de la péninsule, à l'exception de Cádiz qui ne fut jamais occupée, les Français purent contenir les offensives répétées de corps expéditionnaires anglais débarqués au Portugal, sans toutefois arriver à se maintenir durablement dans ce pays. En Espagne, ils réussirent à contrer tout retour en force des armées régulières espagnoles. Harcelés par les bandes de guérilla, ils eurent cependant de plus en plus de mal à assurer la sécurité de leurs lignes de communications, et l'administration du roi Joseph n'arriva jamais à s'implanter de manière durable sur le territoire.

Au début de 1812, Portugais et Espagnols acceptèrent de servir sous commandement militaire anglais. Désigné commandant en chef des armées alliées, Wellington passa à l'offensive. Opérant avec circonspection, il finit, avec des fortunes diverses, par repousser jusqu'en France les armées impériales affaiblies par des prélèvements d'effectifs destinés à remettre à niveau la Grande Armée que la campagne de Russie avait rendue exsangue.
En juin 1813, la défaite de Vitoria marquait la fin du règne de Joseph et de la présence française dans la péninsule. Après avoir mené une retraite exemplaire dans le sud-ouest de la France, Soult déposait les armes le 12 avril 1814, à Toulouse, une semaine après l'abdication de l'Empereur.

Confrontés à une xénophobie et à des atrocités qui les accablaient, les Français n'ont pas compris que les Espagnols, dans leur grande majorité, rejetaient, avec la même détermination et la même haine, l'occupation militaire étrangère et le régime politique et social qu'on voulait leur imposer. Ils n'ont pas su prendre la mesure de la guerre de libération que ce peuple fier leur livrait.

Toutefois, si les harcèlements de la guérilla ont fini par les affaiblir, ils n'ont pas suffit à les faire plier. Ce ne sont pas les guérilleros, mais les unités régulières anglaises, portugaises et espagnoles qui ont battu une armée impériale diminuée par les ponctions d'effectifs qu'imposait la désastreuse campagne de Russie, minée par les querelles intestines des maréchaux et fragilisée par le manque de ressources logistiques de l'administration du roi Joseph.

Bien que son impact sur les affaires françaises en Europe centrale et de l'est, là où se jouait le sort de l'Empire, soit resté modéré jusqu'en 1813, cette guerre a, de son propre aveu, précipité la ruine de Napoléon. Elle a permis aux Anglais de préparer leurs armées à un retour en force sur les champs de bataille du continent dont elles étaient absentes depuis 1793. Elle a donné à Wellington l'occasion de se former et d'affirmer ses qualités de chef militaire.

Guerra de la Independencia pour les Espagnols, elle a propulsé leur pays dans le monde moderne. Affrontement souvent barbare entre traditions et idées nouvelles, elle a été un des mythes fondateurs du nationalisme espagnol, comme l'avait été, quatre siècles plus tôt, la Reconquête sur les Arabes. Guerre moderne, elle a été une guerre totale, impliquant les populations dans les combats, généralisant la terreur pour briser les résistances et utilisant l'économie comme arme de destruction. Guerre globale, elle n'a laissé aucun de ses acteurs indifférents, exacerbant à l'extrême leur sensibilité et leurs sentiments.

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Soldats de Napoléon

Qui êtes-vous ?

Auteur du livre "Les soldats de Napoléon en Espagne et au Portugal (1807-1814)", publié par L'Harmattan, je prépare un ouvrage sur Napoléon et l'Espagne.