lundi 5 novembre 2007

Un milieu hostile

Heurtés, d'emblée, par la pléthore du clergé et la richesse des établissements religieux, les Français se méprennent sur la profondeur et la qualité des liens qui unissent les ecclésiastiques au peuple, dont ils sont issus, et dont ils partagent les misères autant que les passions. Les hommes d'église prêchent la haine de Napoléon. N'incarne-t-il pas la Révolution ? N'est-il pas cet Antéchrist qui a chassé les moines de leurs monastères, obligé les prêtres à apostasier, profané les lieux de culte, proscrit la religion ?
Confondant le nationalisme et le religieux, la doctrine qu'ils propagent n'est pas sans rappeler l'âpreté de la croisade contre les Maures. Partout présents, les prêtres enflamment les fidèles par leurs prêches dirigés contre l'envahisseur hérétique. Bannis de leurs couvents, les moines se font les porte-parole et les messagers de la résistance. Renseignant sans vergogne les bandes de guérilla, ils en prennent parfois le commandement. Parfaitement intégrés à la population, sur laquelle ils exercent un contrôle sans failles, "confondant la cause du Christ avec celle des Bourbons", les membres du clergé seront les principaux adversaires des Français. Ennemis parfaitement identifiés, ils seront honnis et combattus sans pitié.
De leur côté, les soldats choquent les âmes pieuses par l'étalage de leur incrédulité, de leur impiété. Se moquant des cérémonies religieuses, ils les parodient de manière bouffonne. Sur l'air des cantiques, ils adaptent des chansons grivoises. Pour eux, ce n'est que de la provocation. Pour les populations, c'est une offense impardonnable, un blasphème inexpiable.
Sec, la mine patibulaire, le regard sombre, impénétrable, l'Espagnol surprend les Français par son attitude hiératique et figée. Triste et taciturne, il leur semble fier,méprisant, imbu de sa personne, convaincu de la justesse de la cause qu'il défend, prêt à tout sacrifier pour elle. Pour les soldats impériaux, c'est un militant, qui, sous une apparente indifférence, est un exalté et un fanatique auquel on ne peut accorder aucune confiance. Assumant les tâches les plus ingrates, les femmes du peuple leur semblent reléguées à un rôle purement utilitaire. Ils apprendront à ne pas trop se fier à ces apparences d'humilité et de servilité, car elles joueront un rôle important dans la guérilla.
Les paysages sont rudes, les écarts de température surprenants, les conditions de vie épouvantables. Le climat est sec, mais la façade océanique est très humide. Partout, de violents orages peuvent provoquer des inondations catastrophiques. Dans l'intérieur,la chaleur est étouffante en été, mais les hivers peuvent être extrêmement rigoureux. Dense dans les zones humides, la végétation est clairsemée, voire inexistante, sur les vastes étendues arides des plateaux centraux. L'Espagne est le pays des extrêmes : "Neuf mois d'hiver, trois mois d'enfer".
C'est dans le cadre sévère, étrangement sauvage, de la meseta centrale, que se dérouleront les principales batailles. Les défilés, qui en défendent l'accès, sont creusés dans les escarpements dominant les dépressions. Passages obligés, ils seront de véritables pièges pour les convois logistiques et les petits détachements de l'armée impériale. Les zones les plus difficiles d'accès serviront de sanctuaires. Après chacune de leurs défaites, les armées espagnoles viendront s'y reconstituer.Elles offriront à la guérilla des bases arrières sûres et protégées, à partir desquelles les bandes pourront, avec une grande impunité, exécuter des coups de main sur les voies de communication.
Isolés, bâtis en pisé, poussiéreux, crayeux, les villages "ressemblent à des ruines de terre". De couleur jaunâtre, on les remarque à peine, car ils s'intègrent au terrain, uniforme, nu, faiblement vallonné. Seules les tours carrées des églises signalent leur présence, des églises qui ressemblent plus à des forteresses qu'à des sanctuaires, avec leurs murs épais, percés d'étroites meurtrières, et leurs contreforts massifs. Dans les rues étroites, au tracé souvent capricieux, dans les maisons à l'agencement compliqué, les partisans trouveront des refuges plus confortables que ceux des sierras.

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Soldats de Napoléon

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Auteur du livre "Les soldats de Napoléon en Espagne et au Portugal (1807-1814)", publié par L'Harmattan, je prépare un ouvrage sur Napoléon et l'Espagne.